ANTHROPOMORPHES

ANTHROPOMORPHES
ANTHROPOMORPHES

Étymologiquement, les Anthropomorphes sont les Singes qui ressemblent à l’Homme, avec lequel ils constituent le groupe d’espèces les plus évoluées de l’ordre des Primates. Ils ne sont représentés à l’heure actuelle qu’en Afrique et en Asie, et regroupent deux familles, les Hylobatidés et les Pongidés. Apparus à l’Oligocène, les Anthropomorphes ont très largement étendu leur aire de répartition en Afrique et sur le continent Eurasiatique au Miocène, pour, au Pliocène, se localiser dans l’aire qu’ils occupent actuellement.

Les théories habituelles veulent qu’Hylobatidés et Pongidés aient une origine commune. Cependant il n’est pas impossible que les Pongidés soient apparus beaucoup plus tard. Certains traits des Hylobatidés les rapprochent d’ailleurs des Cynomorphes, tels leur taille ou leur poids corporel relativement faibles et certains caractères de l’encéphale.

Les deux familles se distinguent cependant des autres Singes, notamment par le développement encore plus accentué de leur cerveau (d’où résulte un perfectionnement des fonctions motrices, sensorielles et cognitives); par la longueur de leurs membres antérieurs, qui favorise la brachiation et l’émergence d’une station bipède; par la réduction extrême des vertèbres caudales, amenant à une disparition totale de la queue; par l’existence de pouces opposables.

Leur affinité avec l’Homme est évidente tant sur le plan anatomique – ainsi la forme de la mandibule ou l’ébauche des courbures de la colonne vertébrale, prémisses de la marche bipède – que sur le plan des caryotypes, notamment ceux des Pongidés africains, ou sur celui des caractéristiques du sang: ainsi la communauté des réactions sériques est étroite, et les quatre groupes sanguins A, B, AB, O de l’Homme sont représentés chez l’un ou l’autre des Anthropomorphes. Tout aussi fondamentale est la durée prolongée de la période maturationnelle. La gestation dure de 7 à 9 mois, et il faut attendre 6 à 11 ans, selon l’espèce ou le sexe, pour que la maturité sexuelle soit atteinte. L’unique jeune sera pendant de longues années plus ou moins dépendant de sa mère; cette longue ontogenèse sociale constituera la période privilégiée d’apprentissage, au sein d’un réseau de relations plus ou moins complexes. Enfin la durée de vie est de plusieurs dizaines d’années, pouvant aller jusqu’à 55 ans pour un chimpanzé.

1. Classification

Hylobatidés

Les Hylobatidés comprennent deux genres, uniquement représentés en Asie. Le genre Hylobates regroupe les gibbons proprement dits, dont la classification reste fort mal connue: selon les auteurs, il y aurait de 6 à 9 espèces; leur aire de répartition va de l’Himalaya, au nord, jusqu’aux îles de la Sonde, au sud, leur habitat étant limité aux zones forestières.

Le poids des animaux adultes varie de 5 à 10 kg. On note peu de dimorphisme sexuel. Selon les espèces, l’âge et le sexe, le pelage varie du beige clair au marron et au noir. Il est généralement très fourni.

Le genre Symphalangus , ou siamang, ne comporte qu’une seule espèce. C’est le plus grand des Hylobatidés; il peut atteindre 1 m et peser 15 kg, et son pelage est long, dense et noir. Il occupe les forêts de Malaisie et de Sumatra où on le trouve en sympathie avec divers gibbons. Il est tantôt considéré comme l’espèce la plus évoluée de la famille, faisant la transition avec les Pongidés, tantôt comme une espèce ayant, au contraire, conservé des traits ancestraux.

Gibbons et siamangs sont des animaux très élancés, aux membres antérieurs démesurément longs, pouvant atteindre 2,4 fois la longueur du tronc. Ce sont essentiellement des animaux arboricoles, faisant un usage fréquent de la brachiation, aux déplacements acrobatiques et spectaculaires. Descendant rarement au sol, ils peuvent s’y déplacer en marche bipède sur de courtes distances, mais sont néanmoins des animaux d’abord quadrupèdes dont la longueur des membres antérieurs donne au tronc une position très oblique.

Pongidés

Les Pongidés comprennent trois genres, l’un asiatique, l’orang-outan, les deux autres africains, le gorille et le chimpanzé. Tous sont d’abord forestiers mais leur degré d’arboricolisme varie.

L’orang-outan (Pongo pygmaeus ) est sans doute le plus étrange de tous. Sa face glabre, ridée, de couleur brun rosé, mouchetée de taches de rousseur, aux petits yeux très rapprochés, et entourée de longs poils roux, surmonte un corps lourd, au ventre proéminent, au pelage brun-roux très épars; la longueur des bras atteint deux fois celle du tronc. Sous la gorge du mâle, un important renflement témoigne de la présence d’un sac laryngien très développé, utilisé comme résonateur dans la production de certains cris.

L’orang-outan est un animal lent, qui ne fréquente que rarement le sol, se tenant préférablement dans les strates forestières situées entre 15 et 25 m de hauteur. C’est le plus brachiateur des Pongidés. Il est caractérisé par un très fort dimorphisme sexuel de poids, celui du mâle adulte pouvant plus que doubler celui de la femelle. Présents uniquement à Bornéo et Sumatra, les individus y appartiennent à deux sous-espèces différant notamment par leur poids moyen: tandis qu’à Bornéo le mâle adulte peut atteindre plus de 180 kg, il ne dépasse guère 70 kg à Sumatra.

Chez le gorille, l’espèce a été subdivisée en deux sous-espèces, localisées dans deux habitats largement séparés.

Le gorille de plaine (Gorilla gorilla gorilla ) est bien représenté dans les forêts tropicales de l’Ouest africain: Río Muni, Gabon, Cameroun, Congo... Le gorille de montagne (Gorilla gorilla beringei ) est limité à une zone restreinte, située entre l’équateur et le lac Tanganyika, à cheval sur les frontières du Zaïre, de l’Ouganda et du Rwanda. À l’intérieur de cette zone, la distribution des gorilles est morcelée en populations bien isolées. Trois habitats sont colonisés: la forêt tropicale humide de plaine, la forêt humide de montagne (jusqu’à 11 500 pieds) et la forêt de bambous.

Les animaux des deux sous-espèces ont une face glabre noire, une peau pigmentée en noir recouverte d’un pelage également noir, plus dense chez le gorille de montagne, avec, selon les individus, des tendances plus ou moins prononcées au brun-roux. Le pelage grisonne avec l’âge, et le dos des mâles adultes est complètement gris argenté dès l’âge de douze ans. Animaux massifs, à la musculature puissante, aux mains trapues et aux doigts boudinés et courts, ce sont les plus lourds des Pongidés. Les mâles atteignent des poids variant de 150 à 200 kg et même 250 kg, avec des tailles pouvant aller jusqu’à 2 m; les femelles ne dépassent qu’exceptionnellement les 100 kg. Une crête sagittale osseuse se développe sur la tête, formant un cimier impressionnant chez les mâles adultes, cimier encore plus prononcé chez le gorille de montagne. Contrairement à celles du chimpanzé, les oreilles du gorille sont petites, noires, et de forme très humaine, tandis que les narines sont bordées d’épais bourrelets.

En dépit ou en raison de leur force impressionnante, les gorilles sont des animaux placides et calmes. Ils sont essentiellement quadrupèdes et terrestres. Ils grimpent avec précaution dans les arbres pour se nourrir et se reposer, mais fuient par le sol au moindre danger. Le poids colossal des adultes suffit à lui seul à expliquer ce mode de vie terrestre.

L’aire de distribution des chimpanzés est plus étendue et moins discontinue que celle du gorille puisqu’on le rencontre dans l’ensemble du bloc forestier tropical humide d’Afrique et que des populations subsistent jusqu’en Guinée pour l’espèce la plus répandue: Pan troglodytes . C’est dire qu’il s’adapte à des biotopes différents, allant de la forêt tropicale humide de plaine et de montagne jusqu’à des forêts sèches et des savanes boisées.

Les chimpanzés sont des animaux au corps svelte, aux bras relativement minces, et aux mains découpées et fines. Les mâles adultes atteignent 1,70 m et pèsent de 50 à 75 kg tandis que le poids moyen des femelles est de 30 à 60 kg, pour une taille de 1,30 m en moyenne. Leur peau est de couleur gris rosé; la face rose du jeune enfant se pigmente plus ou moins de noir avec l’âge selon les individus. Dans une même population, on trouve des adultes à peau claire, d’autres dont la face est entièrement noire; les oreilles sont toujours grandes et largement décollées, le poil noir est long et épais. Les chimpanzés sont des animaux arboricoles qui passent 50 à 75 p. 100 de leur temps dans les arbres. Souvent gesticulants et bavards, ils apparaissent comme des animaux beaucoup plus émotifs que le serein gorille.

Le chimpanzé pygmée (Pan paniscus ) est localisé dans une étroite zone sous la boucle du Congo. Les individus, près de deux fois moins lourds que le chimpanzé troglodyte, ont la peau noire, y compris chez les enfants, et les oreilles cachées par le pelage. Encore plus arboricoles, ils restent fort peu connus.

2. Biologie

Les Anthropomorphes sont essentiellement des végétariens, consommant des fruits et des graines, des feuilles, des tiges, des bourgeons, des fleurs, de l’écorce. Chimpanzés, orangs-outans et gibbons sont principalement des frugivores-granivores tandis que le siamang est plus folivore. Le gorille de montagne se nourrit essentiellement de feuilles, de la moelle des tiges et d’écorces tandis que le gorille de plaine semble plus frugivore.

La quantité et la qualité des proies animales consommées varient selon les espèces. Les gorilles de montagne ne semblent pratiquement pas carnivores de même que les gibbons qui ne consomment que de rares insectes. Au contraire, les chimpanzés capturent une certaine quantité d’insectes, notamment termites et fourmis. En outre les mâles adultes capturent occasionnellement de petites antilopes ou de jeunes babouins. Les chimpanzés sont également de grands destructeurs de nids d’oiseaux.

Chaque soir, orangs-outans, gorilles et chimpanzés construisent un nid de branchages et feuillages dans lequel ils passent la nuit. Chez les chimpanzés et les orangs-outans, les nids sont construits dans les arbres tandis que le gorille dort le plus souvent au sol.

La maturité sexuelle n’est atteinte que vers 6, 7 ou 8 ans pour les femelles, 9 ou 10 ans pour les mâles. Il ne semble pas y avoir de saison privilégiée pour les mises bas. Les femelles ont des cycles sexuels allant jusqu’à 29 jours en moyenne chez les gibbons et l’orang-outan, à 30 jours chez le gorille et à 35 jours chez le chimpanzé. Chez ce dernier, chaque cycle s’accompagne d’une intumescence spectaculaire de la région ano-génitale, qui atteint son maximum au moment de l’ovulation pour décroître ensuite jusqu’aux menstrues.

La gestation dure 7 ou 8 mois chez les gibbons, 8 ou 9 mois chez le chimpanzé et l’orang-outan, 9 ou 10 mois chez le gorille. Chaque femelle donne naissance à un seul jeune dont la dépendance à l’égard de sa mère va se poursuivre jusqu’à l’âge de 2 ans pour les gibbons, 4 ans chez le chimpanzé. La durée de l’allaitement est variable, la période de sevrage pouvant être plus ou moins prolongée selon le comportement de la mère et la mise en route ou non d’une nouvelle gestation. Il se poursuit pendant environ une année chez le gorille, tandis que le jeune chimpanzé peut téter encore sa mère après sa troisième année.

En raison de cette longue ontogenèse des jeunes, la fécondité des femelles est faible: une femelle gibbon peut donner naissance à un jeune tous les deux ans, tandis que la femelle chimpanzé ne se reproduit au mieux que tous les quatre ans.

3. Organisation sociale

Beaucoup de choses restent à connaître sur le comportement social des Anthropomorphes: certaines espèces de gibbons, le chimpanzé pygmée, de même que le gorille de plaine ont été très peu étudiées tandis que, pour d’autres espèces, comme le gorille de montagne, l’essentiel des observations provient d’une même population. Malgré cela, la diversité des organisations sociales rencontrées est étonnamment grande, et on peut classer les espèces selon un gradient de grégarisme allant de l’orang-outan, animal essentiellement solitaire, jusqu’au chimpanzé aux larges communautés constituées de petits groupes instables, en passant par les gibbons à la structure monogame et le gorille avec ses groupes bisexués stables.

Orang-outan

Chez l’orang-outan, la majorité des individus mène une vie surtout solitaire; seules les femelles ayant reproduit sont accompagnées d’un ou deux descendants. Chaque femelle parcourt individuellement un domaine, partiellement recoupé par celui des femelles voisines. Chaque mâle solitaire possède un domaine vital large, recouvrant la zone parcourue par deux ou trois femelles. Parmi les mâles adultes, on reconnaît des mâles dominants qui sont sédentaires et montrent un comportement territorial visant à exclure de leur domaine des mâles voisins, à l’aide de cris à longue portée. Les mâles subordonnés, quant à eux – généralement de jeunes adultes –, sont plus vagabonds.

À leur maturité, à la fois les jeunes mâles et les jeunes femelles quittent leur mère. Alors que les femelles vivent indépendamment de leur mère, mais sur des domaines partiellement communs, les jeunes mâles doivent s’éloigner, devenant partiellement vagabonds et évitant les territoires des mâles résidents.

Des groupements temporaires constitués d’un mâle et d’une femelle et de son jeune, ou encore de deux femelles avec leurs enfants, s’observent occasionnellement. Ils résultent soit de la convergence des animaux dans un arbre fruitier abondamment garni – dans ce cas, il n’y a aucune coordination du mouvement des deux unités mais simple effet de foule –, soit d’associations temporaires d’adultes des deux sexes induites par la période de réceptivité de la femelle.

Cette structure sociale, considérée comme primitive, est fréquente chez de nombreux mammifères mais unique au sein des Primates supérieurs.

Gibbons et siamangs

Toutes les espèces de gibbons étudiées, de même que le siamang, vivent en groupes monogames comprenant en moyenne moins de quatre individus, et composés d’un mâle et d’une femelle adultes avec de un à quatre descendants.

Chaque famille vit sur un territoire relativement réduit (40 ha en moyenne pour les gibbons, une vingtaine pour le siamang), activement défendu contre l’intrusion des groupes voisins. Cette défense s’effectue grâce à l’émission rituelle, notamment le matin au réveil, de chants puissants, souvent repris en duo par le mâle et la femelle d’un même groupe et auxquels répondent les groupes voisins. Les chants portant à plus d’un kilomètre régissent ainsi à distance l’espacement des différentes unités de la population. La participation vocale de chaque sexe est différente et le chœur peut durer plusieurs minutes.

Ces paires monogames ont des liens durables. Les enfants restent dans la même unité sociale jusqu’à l’âge de la maturité sexuelle, après quoi ils sont contraints de quitter leurs parents.

Gorille

La plupart des individus d’une population de gorilles vivent en groupes bisexués dont la taille varie de 2 à 30 individus, avec une moyenne d’environ 15 animaux. Chaque groupe a une composition relativement stable, incluant de 1 à 4 mâles à dos argenté (de plus de 11 ans) et de 0 à 3 mâles à dos noir. S’il y a plus d’un mâle adulte dans le groupe, une claire hiérarchie s’établit, l’animal le plus âgé étant le plus souvent le dominant.

Les contacts entre les groupes sont généralement pacifiques, allant de l’indifférence totale à l’approche mutuelle et au mélange temporaire des individus. Le domaine vital d’un groupe a une superficie variable pouvant atteindre 30 km2 au cours d’un cycle annuel. Les groupes n’ont pas de comportements territoriaux et leurs domaines respectifs se chevauchent.

Un certain nombre de mâles surnuméraires ne sont pas inclus dans les groupes organisés. Il peut s’agir de mâles à dos argenté d’âge variable ou de jeunes mâles adultes à dos noir. Ils ne s’associent jamais entre eux et mènent une vie le plus souvent solitaire mais peuvent temporairement se joindre à un groupe bisexué.

Quand ils atteignent leur maturité sexuelle, les deux sexes peuvent quitter leur groupe natal. C’est le cas de presque toutes les femelles ayant atteint l’âge de huit ans, soit avant leur première parturition. Elles peuvent alors soit s’intégrer immédiatement dans un groupe voisin, soit s’allier à un mâle solitaire. Tous les jeunes mâles ne migrent pas; ceux qui le font ont au moins onze ans; ne pouvant s’incorporer à un groupe déjà organisé, ils deviennent solitaires, parfois pour plusieurs années, jusqu’à ce qu’ils puissent entraîner des femelles afin de constituer une nouvelle unité reproductrice. Pour ce faire, ils peuvent attaquer des groupes afin d’attirer des femelles. Il est intéressant de voir que les enfants mâles qui restent dans leur groupe natal semblent soit des animaux dominants, soit des fils de dominants prêts à prendre leur suite.

Chimpanzé

Il a fallu de nombreux travaux pour élucider l’organisation des populations de chimpanzés. En effet, plutôt que de former des groupes durables se mouvant en unités cohérentes, les chimpanzés vivent individuellement ou en petits groupes qui se séparent ou deviennent coalescents selon des combinaisons qui varient d’un moment ou d’un jour à l’autre. L’ensemble des individus participant à la formation de ces unités se connaît et forme une communauté vivant sur un large domaine défendu par les mâles adultes contre l’intrusion de la communauté voisine. À l’intérieur d’un même domaine, les mâles sont plus vagabonds que les femelles.

La composition des petites unités est variable. Il s’agit soit d’individus solitaires; soit d’adultes des deux sexes; soit de mâles adultes; soit d’une mère avec un ou deux enfants; soit de plusieurs mères avec leurs enfants; soit d’adolescents; soit encore de groupements associant toutes les classes d’âge et de sexe.

Les plus petits groupes s’observent lors des déplacements; les plus grands autour des sources de nourriture. Seul le groupe composé de la mère et de son enfant est durable. La composition des autres est très opportuniste: on trouve des adultes des deux sexes groupés lorsqu’une ou plusieurs femelles sont sexuellement réceptives; des groupes avec jeunes et adultes lorsqu’un arbre fruitier produit en abondance. Lors des déplacements, les mères, ralenties par leurs jeunes enfants, ont tendance à rester seules ou à se grouper entre elles.

Cette mobilité des unités est loin de refléter le désordre; elle résulte à la fois d’une grande indépendance individuelle, qui fait que chaque animal adolescent ou adulte est capable d’affronter les différentes situations auxquelles la vie le confronte, et d’une inhabituelle sociabilité des mâles adultes de la même communauté dont les relations pacifiques fréquentes traduisent une grande affinité, supérieure à celle qui existe entre les femelles ou entre les mâles et les femelles.

On distingue trois systèmes d’accouplement. Les copulations peuvent être opportunistes: la femelle réceptive s’accouple avec tous les mâles de la communauté, sans provoquer d’agressivité entre eux; c’est le cas le plus fréquent. Plus rarement, un mâle a tendance à devenir possessif: il établit une relation de courte durée avec la femelle réceptive et empêche les autres mâles de copuler. Plus rarement encore, un mâle et une femelle s’isolent en évitant le reste de la communauté.

À la maturité sexuelle, seules les jeunes femelles quittent leur communauté natale et s’intègrent à des communautés voisines. Au contraire, les mâles résident en permanence dans leur communauté de naissance: c’est sur eux et sur leurs liens affiliatifs que repose le système communautaire.

Ainsi, contrairement à ce que l’on observe chez beaucoup de Primates, les femelles apparaissent chez le gorille, et plus encore chez le chimpanzé, comme les éléments les plus mobiles de la population.

4. Capacités cognitives

Système d’intercommunication

Les interactions sociales qui sous-tendent l’organisation des populations se font par l’intermédiaire de signaux dont la nature – sonore, visuelle, tactile – est adaptée à la distance de fonctionnement. Ainsi les signaux sonores, susceptibles d’agir à grande distance, sont-ils plus développés chez les espèces dont la distribution est dispersée et notamment chez les espèces territoriales.

C’est ainsi que les gibbons et les orangs-outans poussent des cris à longue portée agissant à distance pour espacer les individus ou les groupes. Chez les gorilles, pour lesquels les groupes bisexués sont cohérents, la signalisation à faible distance prévaut; la communication intragroupe est encore plus élaborée chez le chimpanzé, pour lequel la fréquente modification de la composition des groupes occasionne une multiplicité des échanges: ils font appel à la fois à un répertoire sonore riche, à un grand nombre de mimiques faciales et de postures et à divers signaux tactiles et olfactifs.

En dépit des différentes structures sociales, les répertoires sonores des Anthropomorphes sont assez comparables en taille, soit de 13 à 15 cris de base, et l’on y reconnaît les mêmes catégories fonctionnelles, à savoir des cris d’alerte, d’alarme et de peur, des cris de détresse, des cris liés aux interactions agressives; des cris de contact assurant la cohésion des unités; des cris régulant l’espacement entre ces unités, et enfin des cris plus précisément liés aux relations interindividuelles pacifiques, notamment entre la mère et l’enfant.

Hormis le fait que la structure physique des cris est spécifique, la différence entre les espèces repose sur la fréquence globale d’émission, qui traduit l’intensité des relations sociales, et sur la fréquence relative d’utilisation de chaque type de cri par les différentes classes d’âge et de sexe, selon leur rôle dans le groupe, leur statut social et leur état physiologique. Dans le cas du gorille, l’individu au dos argenté, qui joue un rôle fondamental dans l’organisation du groupe bisexué et dans les relations intergroupes, possède le répertoire le plus diversifié parmi les membres du groupe et utilise, plus que toutes les autres classes d’individus, la majorité des cris du répertoire de l’espèce. Une telle domination vocale du mâle ne s’observe pas chez le chimpanzé, espèce chez laquelle tous les individus, plus ou moins confrontés aux mêmes types de situation en raison de leur organisation sociale, montrent une utilisation très comparable du répertoire de l’espèce.

Au sein des répertoires des Anthropomorphes, la majorité des cris semblent plus traduire une modification de l’état émotionnel de l’individu émetteur que véhiculer un message précis faisant référence à un objet ou à une situation déterminée.

Toutefois, il est possible de reconnaître certains cris fonctionnant comme des symboles. Ainsi un grognement particulier est émis par le chimpanzé exclusivement quand il découvre une nourriture favorite et qu’il est prêt à la partager: l’émission de ce cri provoque l’arrivée rapide des congénères.

Toutefois, des études sur le terrain sont encore nécessaires pour connaître les capacités linguistiques naturelles des Anthropomorphes. L’expérimentation en laboratoire apporte des résultats de plus en plus intéressants.

Capacités linguistiques

Les capacités linguistiques d’une vingtaine de chimpanzés et de quelques gorilles ont, à ce jour, été testées. Tous les essais réalisés sur l’apprentissage vocalique du langage verbal humain ont été des échecs. Les raisons en sont controversées, l’opinion la plus générale voulant que ces échecs résultent non des capacités cognitives des animaux, mais de la nature même de leurs organes phonateurs.

Trois types d’apprentissage visuel ont été expérimentés. Le premier est l’apprentissage de l’A.S.L., langage des sourds-muets américains qui comprend 55 signes de base, arbitraires ou non, exprimés avec la main, le bras et leur point de contact avec le corps: cet apprentissage est essentiellement fondé sur l’imitation par observation. Le deuxième type d’expérimentation est constitué d’idéogrammes arbitraires en plastique coloré, qui représentent chacun un mot: l’apprentissage est effectué par une série de conditionnements opérants. Dans le troisième système, l’animal dispose d’une machine à écrire avec des symboles géométriques, et l’apprentissage est contrôlé par ordinateur: l’animal apprend à la fois à écrire et à lire ce qui est écrit.

Le but de ces trois types d’expérimentation est sensiblement différent: testant soit les capacités d’acquisition du vocabulaire, d’organisation des phrases et d’acquisition de la syntaxe – c’est le cas de l’A.S.L. pour lequel les animaux sont élevés comme des enfants dans un environnement parental de sourds-muets –, soit les capacités d’utilisation de certains concepts tel le concept d’identité ou de dénomination: l’animal est face à sa «machine», et toute communication transite par elle.

Les résultats sont surprenants. Ils montrent que les animaux sont susceptibles d’acquérir des comportements analogues à certains processus linguistiques humains. Non seulement ils acquièrent un vocabulaire vaste qui s’accroît avec le temps – ce que l’on peut obtenir avec divers animaux de cirque –, mais ils utilisent les signaux artificiels comme des signes ou des symboles, et ils ont une représentation mentale des objets symbolisés; ils sont capables d’une organisation syntaxique primaire du message, pouvant faire référence à des actions passées ou à venir, utilisent la négation, reconnaissent la ressemblance ou la différence entre deux objets et peuvent les situer dans l’espace les uns par rapport aux autres.

Par ailleurs, le déroulement temporel de ces acquisitions est du même type que celui que l’on observe chez les enfants humains, les apprentissages semblant se succéder selon un ordre «logique». Enfin, les animaux paraissent prendre plaisir à «parler»: ils initient la majorité des échanges, se parlent à eux-mêmes quand ils sont seuls et peuvent interagir avec leurs congénères.

Ces études ont un long avenir devant elles. Bien que très critiquées par divers chercheurs, comme c’est le cas à chaque fois qu’une nouvelle expérience ou théorie tend à réduire l’espace entre l’Homme et les singes, elles sont sans aucun doute une des voies pour appréhender les origines du langage humain qui, comme tout autre processus biologique, ne doit pas procéder d’une apparition soudaine mais d’un continuum dynamique au cours de la phylogenèse.

Utilisation d’outils

L’utilisation et la confection d’outils sont, au même titre que le langage, un aspect essentiel de l’étude de l’évolution des sociétés humaines. Des expériences déjà anciennes ont testé l’habileté des Anthropomorphes à utiliser les bâtons et à les assembler ou à superposer des caisses pour atteindre un objet convoité. Encore plus passionnantes sont les observations récentes faites sur des animaux libres dans leur habitat naturel.

Tous les Anthropomorphes sont capables de jeter des branches en direction d’un prédateur, et notamment de l’homme, et sont susceptibles de préparer ces «armes» potentielles en les arrachant de l’arbre. Gorilles et chimpanzés utilisent des bâtons pour atteindre une branche couverte de fruits mais trop haute d’accès. Les chimpanzés se frappent occasionnellement entre eux avec un bâton, ou nettoient les dents d’un congénère avec une brindille; l’orang-outan se protège de la pluie ou du soleil avec du feuillage.

Les chimpanzés semblent cependant les plus habiles. Pour atteindre les termites dans leur termitière, ils explorent les nids à l’aide de brindilles qu’ils confectionnent à l’avance en en ôtant les feuilles ou en les écorçant: une fois les termites accrochés par leurs mandibules, les chimpanzés retirent la brindille du nid et dégustent leurs proies. Un comportement analogue s’observe pour les fourmis. Le chimpanzé peut aussi se préparer une éponge pour boire: il mâchonne des feuilles ou des herbes avant de les plonger dans les cavités des arbres où la pluie est retenue.

En forêt de Taï, en Côte-d’Ivoire, le promeneur attentif ne peut manquer d’être impressionné par les outils en bois ou en pierre laissés au pied de certains grands arbres. Le comportement des utilisateurs est maintenant bien observé. Pour casser les fruits de Coula et avoir accès à une délicieuse noisette protégée par une coque dure, les chimpanzés collectent dans l’arbre ou au sol une dizaine de fruits qu’ils apportent près d’une enclume: ce peut être une pierre ou une racine d’arbre. Près de l’enclume repose souvent un marteau laissé par l’un ou l’autre des congénères: s’il n’y en a pas, le chimpanzé en cherche un; le fruit est posé sur l’enclume, cassé, la noisette est mangée et les débris écartés de la main avant l’attaque d’un nouveau fruit.

Ce comportement peut se faire dans l’arbre lui-même: le chimpanzé doit alors songer à grimper avec son marteau et, tout en le transportant, doit ramener des fruits qu’il stocke dans sa bouche, sa main ou son pied. Casser un fruit de Coula sur une branche relève alors d’un travail d’équilibriste; il faut frapper le fruit sans le laisser choir et, sans laisser la noisette s’échapper, il faut tenir les autres fruits, et ne pas tomber.

Les fruits de Panda, de la taille d’une pêche, contiennent quatre amandes incluses dans un tissu ligneux très dur. En attestent les dépressions bien polies observées dans les racines d’arbres utilisées traditionnellement comme enclume depuis peut-être plusieurs générations. Dans ce cas, l’outil est toujours un caillou qui doit parfois être transporté sur plusieurs centaines de mètres. Seul un dosage extrêmement précis des coups permet d’atteindre les amandes sans qu’elles éclatent en miettes.

Ces observations sont importantes: elles remettent en cause l’origine de certains outils trouvés dans les sites préhistoriques et attribués à des préhominiens; elles remettent également en cause l’origine de la confection d’outils systématiquement attribuée aux hommes. En effet, si quelques mâles chimpanzés arrivent à craquer les noix de Coula au sol, très rares sont ceux qui réussissent l’opération dans les arbres, tandis que seules les femelles craquent les fruits de Panda, activité complexe maîtrisée uniquement par les adolescentes et les adultes.

Les Anthropomorphes ont encore beaucoup à nous apprendre. Et cela d’autant plus que leurs grandes capacités d’apprentissage font que la variabilité interindividuelle des performances est élevée, conduisant au développement de ce que l’on peut qualifier de «traditions culturelles». C’est ainsi que, dans l’Est africain, les chimpanzés «pêchent» les termites alors qu’à l’ouest ils «pêchent» les fourmis et qu’au nord ils cassent des fruits.

C’est donc à la fois d’une étude approfondie en laboratoire testant les limites des capacités cognitives de nombreux individus et d’études sur le terrain, généralisées à un vaste échantillon de populations pour chacune des espèces, qu’on peut espérer les résultats les plus prometteurs pour la connaissance de l’évolution des sociétés humaines. Mais cela implique que nous veillions à protéger ces espèces dont beaucoup sont en voie plus ou moins proche de disparition, en raison de la chasse et des divers prélèvements effectués sur les populations naturelles, et plus encore de la déforestation inconsidérée.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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